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L’Atelier des 4 Potiers : une histoire de famille

Depuis le mariage au début du XXes de Marie-Thérèse Lanoa avec Pierre-André Favre, une famille d’artistes voit le jour, et de façon assez rare, chaque enfant de chaque génération suivante devient artiste, photographe, graphiste, plasticien, musicien ou architecte.

Dès 1909 ce couple fondateur, vit à Crosne dans l’Essonne, au bord de l’Yerres. Pierre André est professeur de peinture à l’atelier de La Palette qu’il fonde, mais la guerre de 1914-1918 l’entraîne dans des épreuves terribles dont il ne se remettra jamais. Sa mécanique créative rompue, il invente : de nouvelles ampoules pour Philips, un bouchon à deux sens. Marie-Thérèse est peintre, et créatrice au sens large, la musique régnant dans la maison. Ils fréquentent la nouvelle génération d’artistes, comme Darius Milhaud, Fernand Léger et Alberto Giacometti. Avec leurs amis André Mare et les frères Duchamp-Villon, ils collaborent sur certains projets comme : La Maison Cubiste, première étude de ce style en 1912, réalisée grandeur nature pour le Salon d’Automne et qui sera exposée l’année suivante à l’Armory Show de New-York. Début d’une esthétique globale qui donnera le style Art déco.

En 1936, dans une période difficile, le couple ouvre un atelier de céramique avec leurs deux filles cadettes Gisèle et Anne. Parents et enfants participent ensemble aux débuts de l’atelier des 4 Potiers qui est fondé comme un ordre quasi « religieux », ainsi que le décrit leur manifeste :

“Les 4 Potiers sont primitivement des artistes qui, intéressés de longue date par la céramique, ont fondé leur poterie commune comme un ordre et prévu leur remplacement par les membres de leur famille qui manifestent des aptitudes, un goût conforme à l’esprit des 4 Potiers, avec une volonté d’anonymat analogue à celui des grandes faïenceries de la Renaissance italienne. ”

(Crosne, 5 mars 1944)

Manifeste révélateur d’une époque où toutes les utopies étaient possibles.

L’atelier démarre très bien. Pierre-André, qui avait travaillé pour les couturiers Paul Poiret et Madeleine Vionnet, est introduit chez les nouveaux créateurs. Ils fournissent Elsa Schiaparelli et la maison Hermès, pour lesquels ils fabriquent boutons et bijoux novateurs, modernes et originaux. Les décorateurs leur commandent aussi des poignées de porte, des lampes, et surtout des carreaux pour les intérieurs. Fut réalisé également un panneau pour le Pavillon des Fêtes lors de l’Exposition Internationale de 1937.

Amis de la designer Colette Gueden, les 4 Potiers travaillent également pour Primavera, l’atelier artistique du Printemps créé en 1912 qu’elle dirige dès 1925. C’est là que Gisèle, dite Lilette, rencontre son mari, l’architecte-décorateur* Pierre Pinsard qu’elle épousera en 1939. Ils s’installent à Paris pendant la guerre et Gisèle prend une place plus importante dans les créations de l’atelier.

Céramique architecturale

Juste après la seconde guerre mondiale, la céramique reste un matériau essentiel, les nouveaux produits de synthèse n’étant pas encore là. L’atelier continue de fournir boutons et bijoux, puis, au début des années 1950, Gisèle Favre-Pinsard (1912-2007) oriente la production vers une collaboration avec les architectes pour des particuliers, des institutions, ou le Clergé français par le biais de son mari Pierre Pinsard, bâtisseur d’églises. C’est une très belle période de production où apparaissent d’étonnantes cheminées carrelées, de très nombreux décors de cuisine, des devantures de café (Le Pam-Pam près de l’Opéra). Les œuvres d’Art sacré des années 1950 et 1960, en lien avec l’architecture de Pierre Pinsard, atteignent une qualité esthétique remarquable, alliant simplicité et pureté comme dans les églises de Lille, Dunkerque, Arles, Bourg-en-Bresse ou Ars. Parallèlement, toute une production de céramiques utilitaires telles que des vases, des services à café, à thé, des boîtes, des assiettes ou encore des tables furent créées pour les magasins de décoration, dont : la Galerie du Siècle (bd Saint-Germain), Pulcinella (rue Vignon), La Porte Ouverte (rue Saint-Honoré), la boutique du Palais-Royal.

Le style de l’atelier évolue lentement lorsque Gisèle prend les rênes de l’atelier à la suite de sa mère Marie-Thérèse, mais les décors garderont cette simplicité, cette stylisation qui en font le charme et la modernité. Vers 1970, Gisèle passe à une période bleue très graphique, qu’elle ne quittera plus, introduisant des motifs stylisés et géométriques, mais gardant ses personnages, ses maisons, ses animaux (chats, oiseaux, etc.).

C’est dans cette maison rare et charmante, cachée dans un jardin fouillis, qu’eurent lieu ces grandes tablées qui comptèrent de brillants amis tels que Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Etienne-Martin, François Stahly (mari de Claude Favre, soeur aînée de Gisèle), Claude Roy, Blaise Cendrars et les architectes André Hermant, Georges-Henri Pingusson, Maurice Novarina… Parmi les proches de la famille, notons que Fernand Léger réalisera quelques plaques céramiques avec Gisèle. Les amis céramistes ne manquent pas non plus, comme Mado Jolain, par exemple, qui fut la belle-mère du photographe Laurent Pinsard, fils de Gisèle. Ces deux potières eurent en commun deux tourneurs devenus grands céramistes : Michel Lanos et Klaus Shultze. Enfin, elle réalise une grande commande pour la cuisine de la maison André et Coqueline Courrèges au pays basque, créant les carreaux du sol, des murs, une vasque de cuisine et un service de table entier.

Gisèle a été l’âme de son coin de verdure parisien. Elle était pleine d’humour et d’une grande vivacité… et paraît-il d’un entêtement rare! Elle portait naturellement une grande attention aux rapports de couleurs, aux dispositions des objets les plus insignifiants, comme si chaque instant de sa vie était l’occasion d’un geste artistique. Sur plus d’un siècle, cette famille d’artistes a contribué à l’essor de la céramique architecturale et à la modernisation des décors intérieurs, tout en gardant un style simple et original.

Marie-Pascale Suhard

*Les architectes-décorateurs du xx°s, comme Charlotte Periand pour la station des Arcs en Savoie, concevaient l’ensemble architectural extérieur, mais prévoyaient ausi les modules intérieurs comme les blocs de salle de bains, et créaient aussi le mobilier adéquat.
Pour avoir l’article complet, voir La Revue de la Céramique et du Verre N°214 de Mai-juin 2017