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Les poteries d’Accolay sur la route des vacances.

« On est heureux, Nationale 7 » fredonne Charles Trenet. Chanson mythique qui parle d’une route qui ne l’est pas moins, la route du sud, synonyme de soleil et de vacances pour les premiers estivants des années 50. Les jeunes potiers d’Accolay vont surfer sur cette vague enthousiasmante des débuts de la société de consommation et des trente glorieuses qui suivront, pariant sur la modernité de leur production.

La guerre est terminée, mais les restrictions perdurent, les français manquent encore de tout et ces jeunes vont avoir l’idée géniale de vendre leur production le long des nationales 6 et 7, dans des magasins intégrés aux premiers distributeurs de carburants, créant ainsi les premières stations service multifonctions, début des grandes surfaces. L’histoire de ces poteries est jumelée avec l’essor de la voiture et des vacanciers filant sur les nouvelles routes mais leur production ralentira lorsque l’autoroute supplantera ces nationales. Une production immense fit la gloire de ce village, près d’Auxerre, et certains anciens automobilistes se souviennent encore des poteries vendues aux postes à essence de Bourgogne.

Une épopée de plus de quarante ans

La première aventure de ces précurseurs était communautaire et religieuse. En effet, André Boutaud, Slavik Paley, Rodet et Louis Dangon se sont connus lorsqu’ils étaient élèves d’Alexandre Kostanda pendant la guerre, alors que celui-ci enseigne au lycée professionnel de Saint-Laurent les Macon. Vers 1944, ils sont stagiaires à Vaugermain, près d’Accolay. Après leurs premiers essais, ces quatre amis décident de s’installer dans une ancienne maison bourgeoise à l’entrée du village d’Accolay, près d’un transformateur, afin produire de petites céramiques et de former une communauté religieuse. Certains se convertissent. André Boutaud est leur leader et les entraine sur ce chemin, trouvant des monastères où ils effectuent des retraites. L’une de celle-ci se fit à Chabeuil, près de Valence, chez des Jésuites espagnols, austères et rigoureux, ce qui troubla profondément Elie Barachant, dernier arrivé, le désengageant un peu de l’enthousiasme commun…   Ils font écho, dans cette démarche, aux débats vigoureux sur les rapports entre la foi et son expression artistique, relayés dès 1935 par la création de la revue « L’art sacré ». Et la consécration, très médiatisée, de l’église du plateau d’Assy en 1950 remet sur le devant de la scène ce débat et déclenche un renouveau religieux. Cependant, cette communauté bat rapidement de l’aile et tourne au vinaigre avec l’arrivée de nouvelles recrues non religieuses, l’idéologie se noyant peu à peu devant la nécessité commerciale.

Nous sommes donc le 26 octobre 1945, et l’histoire commence ! Rejoints par Fédor Iodtschine, chimiste de formation, ils lancent une petite production de boutons. Epoque épique, les premières pièces ont voyagé car ils n’avaient pas encore de four : premier voyage – en stop – vers Paris (188 km) pour faire biscuiter les boutons, retour à Accolay pour poser les émaux au pinceau, deuxième voyage à Paris – toujours en stop – pour la cuisson des émaux. Troisième voyage pour les pièces contenant de l’or ou du platine. Grâce au grand-père d’André Boutaud, un des fournisseurs lyonnais de soieries, passementeries et boutons pour les grands couturiers de l’époque, ils produisent 300 boutons pour la première collection « Corolle » de Christian Dior, celle qui lança la mode du « New Look », en 1947, dénommée ainsi par la journaliste américaine Carmel Snow dans le magazine Harper’s Bazaar.

Très vite ils s’adressent à un charron génial, Bernard Chevillard, qui leur crée toutes sortes de machines : leur première machine à estamper les boutons fut fabriquée avec une roue de vélo ovale, reliée à une chaîne de vélo, qui frappait les boutons à chaque demi-tour ! La deuxième machine à estamper fut fabriquée à partir d’une manette d’aiguillage de wagonnet des Fours à Chaux voisins…. Leur premier four électrique construit en octobre 1946 mesure environ 10 cm sur 10 ! Plus de 900 modèles de boutons furent créés, tous répertoriés. Ils inventent de nouvelles formes, et se lancent dans les bijoux, broches et pendentifs surtout, très recherchés aujourd’hui.

Dès 1947, les boutons se vendent moins bien à cause de l’arrivée de nouveaux matériaux comme le plastique. Ils engagent leur premier tourneur professionnel, Elie Barachant, élève également de Kostanda, et orientent leur production vers toutes les formes de poteries usuelles possible. Ils vont les vendre à la Foire Saint-Martin d’Auxerre de 1948. Le succès est total. Tout est vendu. Ils sont condamnés à continuer.

Elie Barachant a l’idée d’installer leurs céramiques dans les petits wagonnets des anciens Fours à Chaux, sur la Nationale 6, à la sortie du village. Et ça marche. Les premières voitures s’arrêtent comme le témoignent ces vieilles photos. Le succès les contraint à produire de façon plus efficace et l’équipe du début se délite : Barachant part en 1949, souhaitant produire sa propre céramique artistique comme le feront Claude et Slavik Paley. Louis Dangon, son élève, les quittera quelques temps plus tard pour aller à Saint-Amand en Puisaye où il habite toujours. Restent avec André Boutaud : Daniel Auger, Hubert Guy, et Fédor Iodtschine.

Afin de produire en plus grande quantité, ils s’agrandissent, achètent des grands fours, puis les fabriquent. Ils auront jusqu’à six fours dont deux qui marchent en permanence : l’un pour la cuisson des biscuits, l’autre, plus chaud, pour la cuisson des émaux. Les plus grands mesuraient un mètre quatre-vingt. Ils engagent deux tourneurs produisant deux cents pièces par jour chacun. Et finalement une soixantaine de villageois travaillent dans la poterie. Comme la demande d’objets utilitaires est très importante, ils fabriqueront un nombre incalculable de pièces : cendriers, boîtes, cadre-photos, lampes, lampes ajourées, tables, vases, pots, cruches, coupes, services à thé, à café, assiettes décoratives, mais jamais de services d’assiettes usuels. Toutes ces pièces, sauf les plus petites, moulées ou estampées, seront tournées et décorées une à une.

Leur troisième magasin est une épopée. En 1951, André Boutaud dépose un permis de construire pour un bâtiment à usage commercial situé un peu plus loin sur la N6, au sud de Vermenton. Après l’autorisation en 1953, il construit un premier bâtiment. Puis, en mars 1958, obtient un permis de construire pour une « station de distribution de carburant » avec le pétrolier Caltex. C’est à nouveau trop petit… et c’est en 1960 qu’il adresse une demande pour un bâtiment révolutionnaire dans sa conception, copie conforme des stands de la ligne droite des Hunaudières du circuit des 24 h du Mans. C’est le plus connu des magasins des poteries d’Accolay, le plus incroyable, avec ses trois pots gigantesques sur le toit et ses alignements de gobelets formant des lettres pour écrire leur enseigne sur les façades. En plus de celui d’Accolay, ils auront trois magasins sur la N6, à Arcy-sur-Cure, à Appoigny et à Vermenton. Un sur la N7 à Pouilly-sur-Loire et un sur la route de Dijon, à Fixin.

La grande époque se situe entre 1970 et 1975. Ils exportent alors dans le monde entier : Japon, USA, Canada, Australie, Nigéria, Liban, Emirats, Allemagne… Obtenant le Premier Prix de l’exportation en 1975, ils sont demandés à la radio et à la télévision, travaillent pour Primavera. A la fin des années 70, la mode change, les collaborateurs se séparent. André Boutaud et Fédor Iodtschin restent jusqu’en 1980, date du décès de Boutaud. Une vente aux enchères clôt cette belle histoire en novembre 1989 et les bâtiments seront détruits au début des années 2000.

Une terre et un style original

Les premiers boutons sont réalisés avec la terre blanche de Provins. Mais lorsqu’ils posent leurs premiers vases le long de la route, ils se fendillent sous l’effet des basses températures du rude hiver bourguignon. Leurs recherches les orientent vers un ajout de verre riche en plomb finement broyé ou de chamotte classique dans la terre, ce qui solidifiera l’ensemble, abaissera la température de cuisson et donc les coûts. Toujours dans un souci de rentabilité, ils acquièrent une carrière à Provins et fabriqueront toujours leur terre dans leurs locaux. Un poids assez important et une grande résistance aux chocs caractérisent d’ailleurs l’ensemble de la production d’Accolay. Notons que les premières signatures sont faites par un tampon représentant deux A accolés soit en triangle, soit arrondis. Mais très vite, « Accolay » écrit manuellement, formera la signature principale.

Les débuts sont hésitant quant à leur style, très empreint des années 40 avec beaucoup de surcharge décorative. Puis sous l’influence de Barachant, les formes s’épurent et les lignes deviennent plus sobres. Les pièces sont monochromes d’abord, puis bicolores dès la fin de 1949. Fédor Iodtschine fait des recherches et prépare les émaux qui, en dehors des noirs, sont la signature des poteries de ce village. Les superpositions d’émaux produisent un moucheté particulier et les couleurs sont souvent en demi-teinte. Les premières productions sont simples et pratiques puis les décors, peints ou sgrafités, arrivent vers 1955.

André Boutaud dirige très habilement la fabrique et veut que la production colle à la mode ou aux évènements politiques, culturels ou sociétaux. Il y aura une collection Russe quand le général de Gaulle rencontrera Kroutcheff en mars 1960, Maya lors de l’exposition du Grand Palais pendant l’été 1968 organisée par Jacques Soustelle ou Shadock avec le feuilleton TV dès avril 1968. La période 1957/1968 est la plus intéressante, car de grands artistes viennent y travailler comme Raphaël Giarousso, dès 1953, Georges Pelletier, Brochet, Hosotte et Pierre Merlier. Raphaël Giarousso crée des objets avec du fil de fer comme les animaux, les bijoux, les guerriers. Ou les jeux d’échec souhaités par Boutaud.

L'autoroute

L’arrivée de l’autoroute vers 1966/1967 produit une désaffection des nationales, une baisse des ventes et les potiers doivent s’orienter vers l’international. C’est à ce moment-là qu’ils inventent un nouveau matériau : la Cépamine, sorte de résine assez épaisse incluant du verre, dans lequel ils incrustèrent des feuilles, des fleurs, des insectes … très à la mode à cette époque-là. Des abat-jours translucides sont créés dans ce matériau qui donnait une belle luminosité. Ils en fabriquent également en métal ajouré, en tissu, en laine. Cette Cépamine fut brevetée, exposée aux salons de Paris, Francfort, Lyon. « Lors d’une exposition à Paris, un Japonais regarde une table sous toutes les coutures, la retourne, essaie de la démonter, pour finalement en commander un wagon entier !…. Et peut-être pour trouver le secret de fabrication… » se souvenait M. Iodtschine. Leur gamme de produits s’étend vers des modèles différents dont beaucoup de luminaires, (appliques, lampadaires, pieds de lampe souvent très haut), de tables, de meubles de bar, comme celui du Bar du Marché à Auxerre, qui existe toujours. Après le décès d’André Boutaud, les céramiques perdent leur originalité, la concurrence italienne, espagnole puis asiatique est de plus en plus présente et l’entreprise cesse définitivement en 1989.

Un parfum de nostalgie

Afin que cette belle aventure s’inscrive dans la postérité, la commune, sous l’impulsion de M. Jean-Marc Lagarde, maire de l’époque, réussit à acquérir les trois immenses pots siégeant fièrement sur le toit du magasin de Vermenton et à les transplanter vers Accolay. Le plus grand, datant de 1958, mesurant plus de sept mètres de haut, pesant sept tonnes et demi, fut enlevé par deux énormes grues en octobre 1999 et positionné en 2000. La peinture et la restauration des quatre-vingt cinq carreaux de plexiglas fut achevé en 2009. Cet immense emblème est positionné juste à l’entrée d’Accolay, les deux autres à peine plus loin.

Un parfum de nostalgie règne aujourd’hui sur ce charmant village mais les innombrables céramiques d’Accolay témoignent d’une époque où tout était possible, où le bonheur régnait Nationale 7…

Marie-Pascale Suhard