Raphaël Giarrusso est l'un des artistes les plus connus ayant travaillé aux Poteries d'Accolay dès 1953 et ayant ouvert son atelier dix ans plus tard.
Né à Montréal au Canada, Raphaël Giarrusso est d’origine italienne, sa famille venant de Molise dans les Abruzzes, région située à l’est de Rome, le long de la côte adriatique. Son père, Cosimo Giarrusso est arrivé au Canada en 1913 à l’âge de 27 ans. Il s’installe à Montréal et attendra dix ans avant de faire venir sa femme Saveria et sa fille aînée Philomène. Ils auront encore trois enfants dont Raphaël qui naît le 29 mars 1925.
De parents modestes et peu tournés vers l’art, Raphaël est néanmoins attiré par une carrière artistique et démarre, à quinze ans, l’Ecole des beaux-arts de Montréal. Etudiant doué et travailleur, il participe très tôt à des expositions, réalise des décors de théâtre pour lesquels il est récompensé et part étudier la technique de la fresque aux USA.
Puis il reçoit une bourse pour venir étudier aux Beaux-arts de Paris, et fait la traversée avec un ami de leur école, René Content. Il se trouve que, pendant cette traversée, il rencontre Marc Chagall : cette belle photo nous montre Marc Chagall entre Raphaël à sa gauche et René Content à sa droite. Joli présage de la future réussite de Raphaël Giarrusso…
Arrivée en France, 1949
Il arrive donc à Paris en août 1948, et suit les cours des Beaux-arts, peint beaucoup. Une de ses premières peintures, datée de 1949, est de belle qualité, harmonieuse et sereine.
Comme tous les artistes de cette période, il a du mal à gagner sa vie, les loyers sont chers pour un jeune débutant, il fait des petits boulots pour survivre…
La chance lui sourit lorsqu’il rencontre une famille qui lui prête sa résidence secondaire à Accolay, village situé près d’Auxerre. Il continue de peindre, mais pour vivre, travaille comme sculpteur chez un marbrier à Vermenton. Celui-ci lui fait cadeau de quelques pierres avec lesquelles il réalisera ses premières sculptures. L’une d’elle est conservée dans la famille, et représente un potier au tourInstrument du tourneur : dispositif, actionné au pied, ou électrique, comportant un plateau rotatif horizontal sur lequel on pose la boule de terre à tourner., prémonitoire de sa vie à venir… Sculpture ramassée, concentrée, exprimant une force calme, sa structure cubisante fait penser aux statues-cubes de l’Egypte ancienne ; elle est d’une grandequalité esthétique et présente un bon équilibre des volumes.
1953 à 1963 : Les Poteries d’Accolay
La première aventure des précurseurs d’Accolay était communautaire et religieuse. En effet, André Boutaud, Slavik Paley, Rodet et Louis Dangon se sont connus lorsqu’ils étaient élèves d’Alexandre Kostanda pendant la guerre, alors que celui-ci enseigne au lycée professionnel de Saint-Laurent les Macon. Vers 1944, ils sont stagiaires à Vaugermain, près d’Accolay. Après leurs premiers essais, ces quatre amis décident de s’installer dans une ancienne maison bourgeoise à l’entrée du village d’Accolay, près d’un transformateur, afin de produire de petites céramiques et de former une communauté religieuse. Certains se convertissent. André Boutaud est leur leader et les entraine sur ce chemin, trouvant les monastères où ils effectuent des retraites.
Ils sont très vite rejoints par Fédor Iodschine, chimiste, qui s’occupera des émaux. Ils démarrent leur production en 1945 par des boutons et des bijoux pendant deux ans. Puis ils lancent une production de poteries utilitaires avec une idée de génie : présenter et vendre leurs œuvres dans des stations-service, grâce aux raffineurs d’essence qui les sponsorisaient ! Et comme c’était le début des congés payés et l’essor de la voiture individuelle, les potiers d’Accolay ont réussi au-delà de leurs espérances.
Lorsque Raphaël Giarrusso arrive en 1953, l’entreprise tourne, elle est bien menée par André Boutaud qui a toujours de belles idées, c’est lui qui lance les thèmes de chaque collection. Raphaël y entre comme peintre et décorateur. Grâce à ses dessins préparatoires, nous l’imaginons en train de créer de nouvelles formes, avec un style cinquante très sûr, très nerveux. De plus, il réalise les prototypes des décors qui seront déclinés après par les « petites mains », pas toujours comme il le souhaitait, d’ailleurs. Son style est l’un des plus connus et l’un des meilleurs d’Accolay, avec des formes figuratives stylisées comme cela se faisait dans les années cinquante, ces décors soulignés par un trait rehaussant le tout, et des couleurs franches. Il y apprend à tourner, mais ça n’est pas ce qu’il préfère. C’est Daniel Auger qui tournait les plus grosses pièces d’Accolay. Celui-ci s’établira à Saint-Amand après sa collaboration avec les poteries d’Accolay. D’autres artistes renommés viennent travailler plus ou moins longtemps aux Poteries d’Accolay comme : François Brochet, Pierre Merlier, sculpteur, le peintre Georges Hosotte, puis le céramiste Georges Pelletier.
Ces études préparatoires présentent les recherches de formes de Raphaël, dessins magnifiques et intéressants que nous avons le privilège de vous dévoiler ici :
Raphaël travaille avec bonheur car l’ambiance était bonne, c’est lui par exemple qui dessine, en 1963, les vêtements portés par les potiers lors du mariage de l’un d’eux :
Passionné par les animaux, Raphaël les dessine et les sculpte fréquemment. Avec son ami Georges Pelletier, arrivé à Accolay un peu après lui, en 1956, ils créent des animaux dont les pattes, et le cou sont des fils de fer… Tous les animaux possibles, y compris des papillons par exemple ! Ainsi que des personnages, souvent des guerriers, des mousquetaires, dont les bras, jambes et cou sont en fil de fer, ou bien des pièces de jeux d’échecs, etc. Ces objets ont un grand succès et ils vont le décliner lorsqu’ils sont encore à Accolay, ainsi qu’une fois dans leur propre création, ce que nous allons voir.
Pour la technique, notons que les tiges en métal étaient fabriquées dans un mélange de nickel, de chrome et d’aluminium, ce qui permettait de les positionner dans les céramiques et de les cuire dans un fourDifférents types de four sont utilisés depuis l’antiquité, et nous ne pouvons tous les répertorier ici. Les principaux sont : Cuisson primitive sur feu de bois en plein air. Les fours à tirage vertical ascendant pour la cuisson des briques principalement. Les fours à tirage vertical renversé (Europe, pour les poteries). Les fours à tirage horizontal, à cheminée couchée. (Chine, Japon, et à Saint Amand en Puisaye) Les fours à flammes directes comme à Vallauris. électrique à plus de 900°. Cette technique de fil de métal était courante à l’époque.
Atelier Rébeval, 1964
Cependant, la vie à Accolay pour Raphaël et sa famille n’est pas si facile, la maison, située juste en face de celle de Fédor Iodschine, est petite. Il a rencontré sa femme Marie-Christine Meyranx en 1955, ils se marient en 57 et ont trois enfants, Vincent, Véronique et Emmanuel. André Boutaud est un excellent manager, qui sait mobiliser ses troupes, mais, surchargé de travail, Raphaël éprouve le besoin de voler de ses propres ailes. Il décide, avec Georges Pelletier, son ami, de lancer une production commune. C’est l’aventure de Rébeval en 1964.
Georges et Raphaël ouvrent un atelier 82 rue Rébeval dans le XIX° arrondissement de Paris. Pour comprendre cette aventure, il faut penser que ces deux amis ont créé une réelle mécanique à succès : ces animaux, personnages, et lampes ajourées marchent très bien et ils veulent exploiter cela en augmentant les dimensions de tous ces objets. Les photos de leur stand montrent des animaux mesurant une trentaine de centimètres, par exemple. Ils vont également développer les lampes ajourées et en exploiter toutes les possibilités principalement de grands pieds de lampes cylindriques avec des cercles ajourés laissant passer la lumière intérieure ou des cercles avec pastilles tenues par un fil de fer. La plupart du temps, il y avait un éclairage à l’intérieur du pied, la lumière passant par les vides prévus. Georges Pelletier en produit encore aujourd’hui. C’est donc dans cette période où ils travaillent ensemble qu’ils imaginent cette production qui leur est propre. Les pièces de cette époque-là ne sont pas toujours signées.
Pendant l’aventure Rébeval, Raphaël travaille quinze jours à Paris et quinze jours à Vermenton. Et c’est sans doute cela qui lui pose un problème, trop compliqué, fatigant… Leur aventure ne dure qu’un an, puis ils reprennent leur autonomie, chacun de son côté souhaitant être libre de lancer sa propre création. Raphaël ouvre alors son atelier à Vermenton, non loin d’Accolay.
Atelier personnel, 1965
Dès ce moment-là, Raphaël Giarrusso expose au Salon des Ateliers d’Art, Porte de Versailles, et ce pendant longtemps. Il travaille plusieurs années pour Roche et Bobois, magasin essentiel pour lui dans la diffusion de ses luminaires et pièces décoratives. Par ce biais, Raphaël vend beaucoup et assez longtemps. Puis il expose à Vézelay, à Migennes ou à Joigny.
Grâce aux photos d’archives, nous trouvons sur ces stands, beaucoup d’animaux, dont des sangliers, des taureaux, des chevaux, des oiseaux, des cerfs ou des gazelles. Notons également cet avant-train de bison et ce rhinocéros énorme… ou bien ce marabout géant à côté d’échassiers magnifiques.…. Les lampes animaux sont également d’une grande créativité comme cette lampe – marabout…
Mais Raphaël Giarrusso est particulièrement connu pour ses soldats, guerriers médiévaux ou mousquetaires, il exploite là une veine réussie de personnages portant fièrement épées, boucliers ou lances et s’amuse à leur façonner des visages à contre-emploi de leur sérieuse fonction… Il n’y a qu’un pas pour que tout type d’homme ou de femme naisse sous ses doigts, que ce soient une japonaise, un joueur de mandoline, un chinois de 74 cm ou une femme au chandelier de 76 cm…
Il faut noter que Raphaël est l’un des rares céramistes de cette époque à avoir créé des personnages presque grandeur nature, comme ses grands guerriers ayant une hauteur totale de 1,74 m, construits en trois parties, avec une lance et un bouclier ajouré éclairant. D’une part, cela relève de l’exploit, et d’autre part ils sont absolument époustouflants, surprenants et pleins d’humour. Nous ne savons – à ce jour – combien de ces grands guerriers ont été réalisés.
En dehors de ces pièces connues, Raphaêl Giarrusso réalisa quelques expériences, dont deux ou trois lampes « HLM », comme il les nommait, formées de plaques de céramiques montées comme une tourInstrument du tourneur : dispositif, actionné au pied, ou électrique, comportant un plateau rotatif horizontal sur lequel on pose la boule de terre à tourner. d’habitation et portant un éclairage interne. Ces lampes sont remarquables : l’équilibre des volumes est parfait, le rythme interne des plaques est d’une grande aisance, nous pourrions considérer ces pièces comme l’aboutissement et l’apogée de son intéressante carrière.
Sa dernière exposition a lieu à Vermenton en juillet 1985 et il y présente des têtes modelées dans un style un peu différent. Raphaël Giarrusso pensait revenir à la peinture et au pastel qu’il affectionnait, mais il décède trop jeune, le 21 janvier 1986 d’une rupture d’anévrisme.