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Contexte

Le XIX° est un siècle de transition pour la céramique en France. Nous avons découvert les manufactures de faïence au XVIII°, celles-ci continuent plus ou moins longtemps, mais l’apparition de l’industrialisation et de la porcelaine, beaucoup plus fine et résistante, met en péril cette production. Alexandre Brongniart, à la tête de Sèvres, fait avancer les recherches, tend vers l’innovation et la performance de la céramique, et enfin, sort la céramique de la tradition ancestrale potière.

Vers la fin du XIX°, plusieurs incidences vont faire basculer la céramique vers un art moderne et majeur. Tout d’abord, le japonisme, reçu en France grâce aux Expositions Universelles. Le mouvement « Arts and Crafts » en Angleterre. Puis les recherches conjointes ou concurrentes de Haviland, Ernest Chaplet et la manufacture de Sèvres sur le rouge. Enfin et surtout, les premiers céramistes précurseurs en corrélation avec les premiers artistes mettant la main à la pâte comme Gauguin.

La fin du XIX° annonce également l’art nouveau par les décors végétaux créés par Felix Braquemont à la manufacture d’Haviland ainsi que par les formes organiques de Chaplet, entre autres… L’influence des décors Iznik est aussi très importante.

Le XX° sera le moment où, sur plusieurs périodes, la céramique rejoint l’art contemporain, sorti de sa gangue potière. Le XXI° sera céramique ou ne sera pas …

Le japonisme

Le premier artiste à remarquer et à s’imprégner du Japon est Felix Bracquemond : en 1856, il découvre dans l’atelier de son imprimeur Auguste Delâtre un recueil des gravures de la Manga du Japonais Hokusai, typique du genre pictural connu au Japon sous le nom de Kachô-ga, peinture de fleurs et oiseaux avec figuration d’insectes, crustacés et poissons. Il est séduit par ce thème et crée le service Rousseau en 1867, ce qui fait de lui l’initiateur de la vogue du japonisme en France.

Et avec le traité commercial signé en 1858 entre la France et le Japon, ainsi que la participation de ce dernier aux Expositions universelles, dès celle de Paris en 1867, (puis 1878, 1889 et 1900) les artistes découvrent les estampes japonaises qui leur fournissent de nouveaux motifs et des solutions inédites pour représenter l’espace. Véritable choc culturel, le japonisme marque un tournant dans les arts du XIXe siècle influençant des artistes comme Bonnard, mais également dans les arts décoratifs, préfigurant la modernité de l’Art nouveau.

Arts and Crafts

Ce mouvement naquit en Angleterre en réaction à l’industrialisation à outrance. Ce sont John Ruskin (1819-1900) et William Morris (1834-1896) qui théorisèrent cet esprit, prônant un regroupement des ateliers d’artisanat selon le système des des corporations du Moyen-Age. Ils créent une fabrique de mobilier aux lignes sobres en Ecosse développant une esthétique qui devait être conforme au but recherché, selon  cette idée que : la forme suit la fonction. Théorie longuement reprise par les designers du XX° s. Pour la céramique, cette tendance prit la forme de la « Poterie d’art ». Deux institutions furent créées en Angleterre : la « Art Worker’s Guild » en 1884 et la « Arts and Crafts Exhibition Society » en 1886. Suivie aux USA par la création de « The American Art Workers Guild » en 1885.

Le rouge

Encore une influence de la Chine : les français sont émerveillés devant les rouges que produisent les potiers chinois depuis longtemps, que ce soit sur grès ou sur porcelaine. Grâce à un véritable espionnage industriel et de nombreuses recherches, il est introduit en France et réalisé en 1848. Il est maitrisé en 1874.

Nous vous proposons ici de consulter l’article sur le ROUGE paru lors de l’exposition à la galerie Jean d’Albis en 2015 ;;;;;;;; Renvoi vers l’article ici  

Les artistes

Jules Claude Ziegler (1804 – 1856)

Il est le premier artiste à passer de la peinture à la céramique. Malgré les réticences de son père, il devient l’élève de Jean Auguste Dominique Ingres  à l’école des beaux-arts de Paris. Il est l’un des premiers à s’intéresser aux peintures espagnoles. 

Au début des années 1840, il séjourne régulièrement dans la propriété familiale de Haute-Marne, où il s’adonne à la céramique et, sous la direction d’Hippolyte Bayard, à l’art naissant de la photographie. Il fait office de précurseur et ouvre, à Voisinlieu, près de Beauvais dans l’Oise, une manufacture de vases en grès fins inspirés des productions allemandes du XVI°. Le succès est au rendez-vous. Il retrouve et exploite la technique du grès au sel. Il puise son inspiration dans les grès allemands et flamands, passe par le gothique à la mode en France vers 1840, puise dans la Renaissance, l’Islam, l’Egypte, l’Inde….

Théodore Deck (1823 – 1891)

En 1841, il débute comme apprenti chez le maître poêlier Hügelin père, à Strasbourg. Voyage de compagnonnage jusqu’en 1847, puis il est pris en 1851 à Paris chez le faïencier Vogt. La fabrique remporte une première médaille à l’Exposition universelle de 1855.

C’est officiellement en 1858 que les Théodore et Xavier Deck créent leur entreprise. Ils s’installent à Paris au 46, boulevard Saint-Jacques. Rapidement, devant le succès de leurs revêtements de poêles, ils présentent des revêtements muraux, puis des pièces de forme. Dès leur installation, les frères Deck réunissent chez eux leurs amis artistes et mettent en place un principe de collaboration, ce qui est assez novateur pour l’époque.

En 1861, au Salon des arts et industries de Paris, Théodore Deck  remporte une médaille d’argent  pour ses pièces à décor d’incrustation dit « Henri II » et d’autres pièces recouvertes d’un émail bleu turquoise ou d’un décor dans le style des céramiques d’Iznik.

A l’occasion de l’Exposition universelle de 1862 à Londres, il conquiert la clientèle anglaise et surprend en présentant son Vase de l’Alhambra de dimensions exceptionnelles : 1,36 m de hauteur. Le vase sera acheté par le South Kensington Museum quelques années plus tard.

Lors de l’Exposition universelle de 1867, la fabrique reçoit une médaille d’argent grâce, entre autres, à la qualité de ses reflets métalliques. En s’inspirant de la céramique islamique, égyptienne, chinoise, japonaise ou des majoliques, il fait évoluer des personnages, oiseaux, fleurs, ornements en tous genres sous une glaçure turquoise, verte, jaune ou manganèse. C’est surtout un bleu caractéristique que le public retient de cette technique : une nuance turquoise éclatante qu’il adopte aussitôt sous le nom de « Bleu de Deck » ou « Bleu Deck ».

Il publie en 1887 son traité La faïence, et devient en 1887 directeur de la Manufacture nationale de Sèvres, reconnaissance suprême pour ce grand précurseur.

Felix Bracquemond (1833 – 1914)

Tout d’abord apprenti graveur, Felix Bracquemond est rapidement remarqué par des artistes qui le forment aux techniques artistiques. Dès 1852, il est admis au salon des artistes. Mais il est surtout graveur et converti de nombreux peintres tels que Jean-Baptiste Corot, Jean-François Millet, Édouard Manet, Edgar Degas, Camille Pissaro 

En 1860, il rentre d’abord dans l’atelier du céramiste Théodore Deck, puis du marchand de faïence Eugène Rousseau, établi rue Coquillière à Paris. Ce dernier lui commande les motifs d’un service de table, pour un projet destiné à l’Exposition universelle de 1867. Bracquemond propose alors un modèle qui reprend les thèmes du Kachô-ga entièrement dessiné et gravé par lui-même. Eugène Rousseau est convaincu et passe commande de deux cents pièces à la Manufacture Lebeuf, Milliet et Cie installée à Creil et Montereau. Bracquemond réalise les eaux-fortes et les planches gravées sont tirées par la manufacture. Les épreuves sont découpées et mises sur la pâte prête à recevoir le décor. Au four, la chaleur fait disparaître le papier ne laissant que l’empreinte du dessin. Puis on peint par-dessus et la pièce est mise au four à grand feu. Présenté pour la première fois à l’exposition universelle de 1867, ce service obtint un très grand succès. Chaque élément du service est orné d’un motif différent. Le décor traite et associe une multitude de volatiles, poissons, et crustacés en laissant toujours place aux plantes et insectes. Le décor est souvent présenté comme une trilogie. Le papillon à la rencontre d’un coq au détour d’un branchage, une libellule à la rencontre d’une carpe au détour d’un nénuphar, etc.

Félix Bracquemond a également travaillé pour la Manufacture nationale de Sèvres en 1870, donnant à ses œuvres une orientation nouvelle qui prélude au modern style. Il a aussi accepté le poste de directeur artistique de l’atelier parisien de la firme Charles Edward Haviland de Limoges. Ami proche d’Édouard Manet, James Whistler, Henri Fantin-Latour, il est représenté dans les tableaux de ce dernier, Hommage à Delacroix de 1864, conservé à Paris au musée d’Orsay.

Avec Degas, Camille Pissarro et Mary Cassatt, il rêve de fonder une revue consacrée à la gravure. En 1880, il expose une dernière fois avec les impressionnistes, présentant, dans son envoi, le Portrait d’Edmond de Goncourt, son ami.

À partir de cette date, il reçoit tous les honneurs : en 1882, il reçoit le titre de chevalier de la Légion d’honneur, puis celui d’officier du même ordre en 1889 ; il obtient la médaille d’honneur du Salon de 1884. L’année suivante, Henri Beraldi lui consacre tout un volume dans le cadre de sa somme, Les Graveurs du XIXe siècle. Il est nommé président d’honneur de la Société des peintres-graveurs français en 1890 et de la Société des peintres-lithographes en 1895 en compagnie de son ami Auguste Rodin.

Ernest Chaplet (1835 – 1909)

Premier céramiste à travailler la céramique comme un art majeur, il la fait avancer grâce à ses recherches.

Il entre à la manufacture de Sèvres à l’âge de treize ans et y apprend la technique de l’engobe sur porcelaine. Collaborateur à la faïencerie de Bourg-la-Reine de 1857 à 1874, il applique ce procédé à la faïence en 1871 produisant ainsi des Barbotines*.

À partir de 1875, il se livre à des expériences dans son atelier situé dans les dépendances de la manufacture d’Auteuil, dirigée par Charles Haviland, le fils de David Haviland, fondateur de la société du même nom. Un second atelier est créé à Vaugirard, rue Blomet, où le sculpteur Jules Dalou travaille avec Chaplet de 1882 à 1884.

En 1882, Chaplet prend la direction des ateliers parisiens de Charles Haviland qui lui cède ses ateliers d’Auteuil en 1885. La même année, il présente ses œuvres à l’Exposition universelle de Paris, pièces caractérisées par l’abandon des grès brun brut pour des grès émaillés avec une stylisation japonisante.

Chaplet crée sa propre manufacture à Bourg-la-Reine en 1875, qu’il conservera jusqu’en 1887. Puis il s’installe définitivement à Choisy-le-Roi où il perfectionne les émaux colorés dont un flammé rouge. Il s’inspire de formes chinoises. C’est en 1885 qu’il exauce son rêve de maîtriser le procédé de fabrication du fameux « sang de bœuf », notant le 30 mars : « le truc est trouvé,  l’enfumage a parfaitement réussi, nous aurons des rouges samedi prochain ! ». Puis, le 4 avril : « Nous défournons à l’instant, toute la fournée est rouge, pas une trace de vert… « 

En 1886, il rencontre le peintre Paul Gauguin et le forme à la céramique.

Il vend à Auguste Delaherche l’un de ses ateliers situé au 157, rue Blomet le 4 octobre 1887. En 1904, il devient aveugle et renonce à son atelier au profit de son gendre, le céramiste Émile Lenoble. Il se suicide le 16 juin 1909.

Charles Edward Havilland et la manufacture Haviland

A venir…

Jean Carriès (1855 – 1894)

Fils d’un cordonnier, Jean-Joseph Carriès se retrouve orphelin en 1861, à l’âge de 6 ans. Il est recueilli, ainsi que ses frères et sa sœur par la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul. Il effectue son apprentissage de modeleur estampeur chez un sculpteur d’objets religieux, Pierre Vermare à partir de 1868. Il étudie parallèlement, lorsque l’occasion se présente, à l’École des beaux-arts de Lyon, sur les conseils de son maître.

Il part s’installer à Paris en janvier 1874 où il devient temporairement l’élève d’Auguste Dumont et reçoit des conseils de la part d’Alexandre Falguière et d’Henri Lehmann. Il échoue au concours d’admission à l’École des beaux-arts de Paris et travaille donc seul, selon sa propre inspiration.

 Il finit par trouver dans un moment de détresse un cercle d’ouvriers à Passy dans lequel son talent est reconnu par le comte de Brimont qui lui commande la réalisation d’un fronton pour son château de Meslay-le-Vidame.

Durant cette période, Carriès travaille par séries modelant de préférence des bustes, après celle des Désespérés, il réalise des Têtes de bébés, puis des figures historiques. Vivant de ce type de commandes, le sculpteur ne cesse d’expérimenter des formes assez audacieuses et directement issues de son imaginaire

Première participation au Salon en 1875. Mais c’est le Salon de 1881 qui permet à Carriès de se faire connaître. En exposant la théâtrale tête décapitée de Charles Ier, il obtient la mention honorable. Au Salon de 1883, il expose l’Évêque qui connaît également un succès et obtient la même mention. Ce buste ainsi que celui de Charles Ier sont fondus en bronze et acquis par l’État en 1889.

Rencontrant un véritable succès lors de l’exposition d’avril 1888, à l’hôtel des Ménard-Dorian, rue de la Faisanderie à Paris, cela lui donne l’occasion de quitter la capitale pour réaliser son rêve : devenir enfin céramiste et créer des œuvres en grès. Il décide alors de s’installer en Puisaye.

L’intérêt de Carriès pour le grès émaillé et les céramiques date de l’Exposition universelle de 1878, à Paris, où il voit des exemples d’œuvres japonaises réalisées dans cette matière. Il est encouragé dans cette démarche par Paul Gauguin, à qui il est présenté pendant l’hiver de 1886-1887 par Ernest Chaplet dans l’atelier de céramique de ce dernier, rue Blomet à Paris.

1888 – 1894, la Puisaye. À l’automne 1888, Carriès a gagné une indépendance financière suffisante pour lui permettre de se consacrer essentiellement à perfectionner le procédé complexe de cuisson de la poterie en grès émaillé: « ce mâle de la porcelaine » comme il l’appelle. L’artiste installe un atelier à Saint-Amand-en-Puisaye, cité connue pour son argile et ses potiers. Fermement engagé lui-même dans son rôle d’artiste-artisan, Carriès crée des glaçures dans de subtiles variations de tons brun, beige et crème.

À partir de 1888-1889, il applique ces effets de couleurs à de nombreuses versions de ses anciens portraits en céramiques et à un répertoire toujours plus important d’autoportraits, d’animaux et de masques fantastiques inspirés par la sculpture gothique et l’art japonais. C’est à travers ces deux dernières influences que l’extrême réalisme de Carriès mène à la distorsion, à la caricature et finalement au grotesque. Inspiré par le symbolisme, il recourt de plus en plus au motif de la « tête coupée », représentant des têtes sur des socles réduits.

En janvier 1889, il organise sa première exposition de grès dans son atelier à Paris ; le Tout-Paris cultivé s’y rend.

En 1892, Carriès présente en vitrine des grès émaillés, mêlant sculptures-céramiques et poteries. En exposant plus de 130 pièces — dont certaines tirées de la Porte de Parsifal — au Salon de la Société nationale des beaux-arts, le sculpteur-céramiste s’attire les éloges, ce qui lui vaut d’être nommé chevalier de la Légion d’honneur le 19 juillet 1892. Par la suite, l’État décide de lui acheter douze grès destinés aux musée du Luxembourg et de Sèvres. Aussi, la Ville de Paris acquiert six vases et une sculpture pour le musée Galliera.

Vers 1890, la princesse Louis de Scey-Montbéliard, née Winnaretta Singer et future princesse de Polignac, lui commande, à partir d’un dessin exécuté d’après les directives du sculpteur par Eugène Grasset, ami de l’artiste, une porte monumentale destinée à aménager une pièce de son nouvel hôtel particulier parisien de la rue Cortambert où doit être conservé le manuscrit de Parsifal de Richard Wagner, qu’elle projette d’acquérir. Conçu en grès émaillé, le modèle ne pèserait pas moins de 22 tonnes et devrait comporter 600 carreaux de grès émaillé. L’œuvre aurait dû mesurer 6 m de haut et aurait ainsi séparé la pièce dédiée au manuscrit du hall dans lequel elle recevait des mélomanes et organisait des concerts privés. Cet écrasant travail usera les forces de Carriès et restera inachevé.

Paul Gauguin (1848-1903)

Précurseur en peinture, Paul Gauguin le fut également en céramique, mais le fait est peu connu. Son enfance péruvienne chez son grand-père, Don Mariano de Tristan Moscoso, colonel Espagnol en poste à Lima et frère du Vice-roi du Pérou, le met en contact direct avec l’art précolombien dont on percevra souvent l’influence dans sa production. Il entre très jeune dans la Marine, puis en 1871, devient agent de change et gagne bien sa vie. Il épouse Mette avec laquelle il aura cinq enfants. Il se met à la peinture progressivement et définitivement en 1882. Dès 1886, il rencontre Ernest Chaplet et travaille pendant dix ans la céramique.

Il est le premier artiste à prendre ce matériau à bras le corps, il le travaille comme le bois ou la pierre ; il est le premier à comprendre toutes les possibilités de la terre et l’utilisera en expérimentant la malléabilité de l’argile et du grès au maximum. Il crée des décors inédits, incisant avec fureur la surface ou sculptant des motifs à sa surface, avec douceur ou volupté. Enfin, certaines de ses pièces sont laissées brutes, d’autres sont engobés et d’autres enfin portent des émaux sourds et sensibles.

Jamais auparavant un potier n’avait manié la terre avec cette créativité un peu sauvage, rude et atypique. Elle est bien sûre à remettre dans son contexte de japonisme, de cloisonnisme et de symbolisme, mais les céramiques de Gauguin sont sorties de nulle part et il faudra attendre la deuxième moitié du XX° s pour retrouver un expressionnisme aussi fort et talentueux.