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Contexte

La deuxième guerre mondiale est finie, la France est en ruines. Dans la mémoire des anciens, l’ampleur de la reconstruction et la force vitale que cela nécessitait sont toujours présent. Le pays se projette maintenant vers le futur avec joie, mais ce n’est qu’avec le recul que l’on constate la naissance d’une civilisation nouvelle dès ces années d’après-guerre.

La libération produit une onde de choc de liberté, de joie et d’enthousiasme. La France est hyper active, il faut relancer l’industrie et l’économie s’emballe. Très vite le niveau de vie progresse et les français, influencés par la modernité venant des Etats-Unis, souhaitent acquérir les dernières nouveautés. Dès 1948, un nouveau style émerge, reflet de l’atmosphère de cet après-guerre. Il se caractérise par des formes nouvelles, libres, où la courbe répond à la contre-courbe. Les couleurs vives envahissent tous les intérieurs, de nouveaux matériaux apparaissent comme le Formica, capable du pire et du meilleur. Le confort est recherché mais doit être souligné par une ligne intelligente. Ce nouveau style est omniprésent, allant des appareils ménagers, aux meubles, aux luminaires, aux arts décoratifs, sans oublier les nouvelles habitudes vestimentaires lancées par les jeunes loups de la Haute-Couture comme Christian Dior…

Les designers s’appuient sur la longue tradition culturelle française ainsi que sur le savoir-faire des artisans, et proposent au public des ensembles décoratifs fonctionnels, à l’esthétique légère, aux courbes omniprésentes, le bois est généralement clair, souvent du chêne. Les premiers meubles en kit (bien avant Ikéa..) arrivent sur le marché et la possibilité d’adapter leurs dimensions à chaque intérieur séduit les jeunes ménages.

Parallèlement, les peintres participent à cette transformation esthétique. Omniprésente, l’abstraction est lyrique ou géométrique, pensons à Hartung, Soulages ou Nicolas de Staël comme fer de lance. Mais la figuration résiste, elle a compris les leçons du cubisme et de l’abstraction et en fait la synthèse. Leur chef de file est Bernard Buffet. Parallèlement, l’Art Brut apparait avec Dubuffet et l’expressionisme bouleverse les données. Enfin le surréalisme a gagné ses galons, Dali est à son apogée…

Les arts décoratifs sont également en plein renouveau et nous structurons ce chapitre au travers des différents lieux de production de céramiques avec leurs spécificités. Principalement Vallauris, Paris et La Borne. Nous soulignons que « l’Artiste » du XX°s que fut Picasso a cassé les codes de la « poterie » et que, grâce à lui, l’art céramique est devenu un art majeur et a rejoint l’art contemporain, présenté dans les plus grandes galeries internationales, aujourd’hui, en 2020.

Ce style 50 perdure jusque vers la fin des années 60. Il est chamboulé par l’apparition du Nouveau Réalisme en 1960, puis par la fracture sociétale de mai 68. Le dernier mouvement artistique révolutionnaire est Support/Surface (Claude Viallat, JP Pincemin…)

Vallauris et la Riviera

.Vallauris est un petit village situé entre Cannes et Nice qui produit des poteries utilitaires depuis le Moyen-âge. De son sous-sol en effet, on extrayait une terre argileuse rouge, souple, fine et facile à travailler. Son surnom, le village aux cent potiers, permet d’imaginer cette vieille bourgade industrieuse qui exportait dans le monde entier ses caquelons, pignâtes et autres contenants. Dès la fin du XIX°s, les frères Massier apportent une belle avancée artistique. Mais c’est vers la seconde guerre mondiale, que la modernité arrive avec les Ramié et les Neveux, entre autres. Suzanne Ramié, en effet, a suivi les cours de l’Ecole des beaux-arts de Lyon, et, avec son mari, ouvre un atelier de poterie à Vallauris en 1938 qu’ils baptisent l’Atelier Madoura. Elle y produit rapidement des pièces novatrices en s’appuyant sur la tradition, comme ce grand bougeoir vert et noir présenté ici.

C’est grâce à sa rencontre avec Suzanne Ramié que Picasso, à l’été 1946, réalise quelques figurines qu’il laisse pour la cuisson. L’année suivante, Il vient voir ce qu’ont donné ses essais et, surpris par les qualités de cette terre, se décide à en chercher toutes ses possibilités. Picasso, nous le savons, est un infatigable travailleur et lorsqu’il découvre une technique, va jusqu’au bout de ce qu’il peut en tirer. Pendant dix-huit mois, il passe tous ses après-midis à l’atelier Madoura et, aidé par Jules Agard, son tourneur, produit des centaines de pièces qu’il détourne de leur fonction première. Les pichets deviennent des chouettes, des femmes, des poissons. Les vases sont déformés et portent des décors anachroniques. Enfin, il réalise d’innombrables décors de son cru sur des assiettes, plats, coupes ou autres tessons. Picasso produit des pièces uniques et accorde aux Ramié le droit de reproduire certaines en quantité définie (50, 100 ou 500 exemplaires).

L’aura de Picasso est majeure à ce moment-là et de nombreux artistes s’engouffrent avec bonheur dans ces nouvelles perspectives. Les ateliers sont rachetés par des jeunes, qui ont également en tête les préoccupations du design : offrir au plus grand nombre des objets beaux, utiles et à bas coût. Le premier à lancer cette nouveauté est Roger Capron : son atelier produit des milliers pièces moulées et décorées à la main. Ses décors de damiers ou de pyjamas sont célèbres et aujourd’hui repris par Paule Ka, créatrice de mode, dans sa collection été 2018. De nombreux autres artistes créent des pièces plus personnelles, comme Jean Derval, Robert Picault, Gilbert Portanier, Albert Diato, Gilbert Valentin, Jacques Innocenti, Juliette Derel ou Alexandre Kostanda.

Parallèlement, de nombreux ateliers lancent une grande production de céramiques utilitaires comme l’atelier Cerenne, où Rita Hayworth vint décorer son service de mariage avec le prince Ali Khan. Vallauris est devenue une ville très à la mode, les peoples du monde entier y passent lors du festival de Cannes, et la ville est envahie de touristes en été. Le style de cette céramique est le reflet de l’époque : haute en couleur, des formes nouvelles toutes en rondeurs, des pièces zoomorphes ou anthropomorphes, utilitaires ou artistiques, gaies, souvent pleines d’humour. En revanche, une production pour touristes a dégradé son image et aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de cette activité.

André Baud, vase à quatre prises
atelier du Vieux Moulin
Jean Derval

Paris

La production céramique des années 50 est intéressante à observer car elle est le reflet de la sociologie de l’époque, de la géographie, de la géologie et dépend encore de la qualité de la terre locale. Nous savons que la terre rouge de Vallauris, argile souple qui cuit à 980° maximum peut être décorée d’émaux aux couleurs vives ; cela produit une céramique gaie, éclatante, flamboyante répondant au soleil méditerranéen…

La terre parisienne est plus blanche, plus grise. Elle se cuit aussi à basse température. Mais, la sociologie des galeries parisiennes des années 50 nous conduit vers le boulevard Saint-Germain et le raffinement des intellectuels de l’époque. Et nous ne sommes pas surpris de voir apparaître des pièces sages, simples, sobres, aux lignes pures, très légèrement décentrées. Le chic parisien…

Les artistes les plus renommés de cette époque sont Georges Jouve, tout d’abord, puis Jacques et Dani Ruelland qui ont leur atelier rue de Bucci, en plein quartier Latin, Pol Chambost qui a commencé à travailler dans les années trente, André Bordery et Véra Székely, André-Aleth Masson…  Mais nous trouvons également une merveilleuse artiste comme Mado Jolain aux pièces douces et organiques, les pièces fortes de Valentine Schlegel et de Guidette Carbonell. C’est l’entrée en force des femmes. Ces artistes sont exposés dans les galeries La Demeure ou la galerie MAI avec les meubles des grands designers de l’époque.

Ruelland

La Borne et Saint-Amand en Puisaye

Et enfin, soulignons une production mythique et confidentielle qui fait le lien avec la création contemporaine. En effet, un filon de terre à grès se trouve dans le sol de la Bourgogne et plus précisément en Puisaye. Comme à Vallauris, une céramique utilitaire existe depuis longtemps, les potiers, avec leur tour à bâton, créent de grosses bonbonnes, pots à graisse, jarres, etc. Ils cuisent dans d’énormes fours à bois dont certains existent toujours. Une petite localité, petit village enfoui sous la végétation, est consacrée à cette activité depuis toujours. Nous sommes à La Borne, pas très loin de Bourges. La dynastie des Talbot y produit depuis le XVIII°s de merveilleuses pièces dont ces pichets anthropomorphes que l’on peut découvrir au musée.

La terre de La Borne est un grès qui cuit vers 1300° et une des cuissons traditionnelles est au sel, c.à.d. qu’au cours de la cuisson les potiers envoient des poignées de gros sel qui, sous l’effet du feu, se dépose sur la terre et l’imperméabilise. Ceci sans ajout d’émaux. La terre ressort d’une couleur rousse et chaude, nuancée selon sa place dans le four. On peut néanmoins ajouter quelques couleurs à ce grès, ce que nous allons voir. L’autre cuisson traditionnelle est « au laitier ».

Pendant la guerre, Jean puis Jacqueline Lerat s’installent à La Borne et révolutionnent la production. Apparaissent des pièces qui ont encore un vide central, mais qui ne sont plus des vases ou des pichets, ce sont des structures abstraites, arrondies, quelques fois vaguement anthropomorphes.

Mais fortes. C’est la caractéristique de la production de La Borne.

Peu après, de nouveaux artistes s’implantent comme Elisabeth Joulia ou Vassil Ivanoff. Les pièces de Joulia sont recherchées à l’international. Ivanoff était photographe avant-guerre et il est « tombé » dans la terre de La Borne après-guerre, il n’en est jamais sorti… C’était un créateur fou, génial expérimentateur. Habitant une petite masure où il avait construit son four, il dormait à trois mètres de celui-ci. Il expérimente d’une part les formes-sculptures qu’il travaille de façon brutale, poussant la terre jusqu’à l’extrême, les pièces ont souvent des fêles de cuisson, ce qui le réjouissait. D’autre part, il expérimente à l’infini les rouges de cuivre, rouge sang-de-bœuf magnifiques sur des formes plus sages de pichets ou de vases. Un musée lui est consacré dans le village, sa maison peut se visiter également.

Depuis ces années formidables, La Borne continue d’attirer des céramistes du monde entier et la magie du lieu permet à de nombreux céramistes au caractère bien trempé de réaliser aujourd’hui des sculptures dont la force tellurique nous émeut profondément.

Boite de Vassil Ivanoff

Accolay

Dès 1944, sous la conduite d’André Boutaud, quatre jeunes élèves d’Alexandre Kostanda ouvrent un petit atelier à Accolay, près d’Auxerre.

Ils débutent par de boutons et des bijoux qu’ils vont vendre à Paris. Puis ils lancent une grande production de céramiques utilitaire, tels des vases, pichets, lampes, etc. Et les vendent dans les stations-services le long des Nationales 6 et 7 à tous les nouveaux vacanciers qui descendaient vers le sud. Le succès est au rendez-vous et ils s’agrandissent, tout le village travaille dans l’atelier, chaque pièce est unique et ils évoluent selon les thèmes traités jusqu’au début des années 90, date de la fermeture définitive de l’atelier.

Une des caractéristiques de la production d’Accolay est la solidité des pièces : en effet, le premier hiver, nos céramistes laissent une partie de leurs céramiques en dehors de leurs magasins et, sous les basses températures de la Bourgogne, les pièces se fendent. Ils font quelques recherches et optent pour une terre chamottée qui sera plus résistante. (Voir Article sur Accolay)

Pichet d'Accolay

Autres Lieux

Nous pouvons citer d’autres lieux de Production comme Soufflenheim près de Strasbourg où travailla la famille Elchinger.

Quimper produisit de belles pièces sous la dénomination de Keraluc : cette manufacture est fondée en 1946 par Victor Lucas (1897-1958). Il s’entoure d’artistes qui savent faire revivre le fonds ancien et aussi apporter de la nouveauté, tels que Pierre Toulhoat ou Xavier Krebs. Après 1958, Keraluc se spécialise dans le travail du grès. Elle ferme ses portes en 1984. La marque a été rachetée par Faïenceries de Quimper HB-Henriot.

Et à Bordeaux la manufacture CAB* (Céramique d’Art de Bordeaux) continue quelques temps de produire une céramique assez pure.

Notons également la belle production de Gabriel Fourmaintreaux pendant cette période florissante.

Fat Lava (1950-1970) est la production de céramique allemande industrielle des années 50 à 70.

Elchinger, vase panier
G. Fourmaintraux, vase anthropomorphe